Escalade et préparation mentale : apprendre à grimper avec sa tête

Escalade et préparation mentale : apprendre à grimper avec sa tête

Mes premiers pas : Edlinger et l’évidence du mental

J’ai appris l’escalade en regardant Patrick Edlinger. Comme beaucoup, j’ai été fasciné par son aisance, sa légèreté, cette manière de faire du rocher un prolongement de son corps. Très tôt, j’ai compris que derrière la beauté du geste, il y avait surtout une chose : l’état d’esprit.

On peut être fort, incroyablement fort physiquement. Mais si la tête est pleine, on devient lourd. On bouge moins, on hésite, on s’épuise. C’est là que j’ai commencé à explorer ce qui allait devenir ma vocation : la préparation mentale appliquée à l’escalade.

De l’alpinisme à la préparation mentale

J’ai fait mes armes en escalade et en alpinisme dans les équipes régionales d’alpinisme et l’équipe espoir. Puis, en préparant le brevet d’État et le diplôme d’État, j’ai observé une chose frappante : la différence entre les pratiquants ne tenait pas qu’à la force ou à la technique. La différence était mentale.

Moi-même, je me sentais beaucoup plus constant en terrain d’aventure qu’en escalade de difficulté, et bien meilleur qu’en bloc. Pourquoi ? Parce que j’avais appris à gérer mes pensées, mon attention et mes émotions différemment.

Et j’ai aussi dû désapprendre beaucoup de choses. On m’a dit un jour qu’« un grimpeur d’un certain poids ne peut pas faire du 8a ». Faux. Radicalement faux. L’expérience prouve que le mental et la manière d’aborder une voie pèsent souvent plus lourd que le gabarit.

Treize ans au plus haut niveau

Cette intuition, je l’ai ensuite vérifiée et affinée au contact du haut niveau. Pendant trois saisons, j’ai travaillé avec l’équipe de France d’escalade sur glace, qui est devenue vice-championne du monde dès la première année.

Puis il y a eu près de 13 années passées dans l’escalade de haut niveau, auprès d’athlètes jeunes et seniors, champions du monde, champions et vice-champions de France. Des grimpeurs qui ont tout gagné, et d’autres qui ont choisi leur retraite après une carrière inspirante.

Je pense à Mika Mawem, Manu Cornu, Alban Levier, Aurélia Sarisson, mais aussi à cette nouvelle génération : Nao Monchoix, Camille Pouget, Arsène Duval, Kito Martini… Tous m’ont confirmé, chacun à leur manière, que l’entraînement mental fait partie intégrante de l’entraînement global.

L’escalade : un sport unique par son temps de lecture

Ce qui me fascine, c’est que l’escalade est un des rares sports où il existe un temps de visualisation obligatoire. Ce temps-là, on l’appelle la lecture de voie.

Autrement dit, ne pas utiliser sa tête en escalade, c’est refuser une partie de ce que le sport nous demande.
Anticiper un mouvement, prévoir une vitesse d’exécution, sentir l’adhérence d’un pied, visualiser une prise ou une parade… tout cela fait partie intégrante de la performance.

C’est pourquoi l’escalade invite naturellement à entraîner le mental autant que le corps.

Les grands défis mentaux du grimpeur

Bien sûr, on sait depuis longtemps que la préparation mentale est utile, notamment pour la peur de la chute. Mais à mes yeux, cette peur n’existe pas vraiment. Elle est souvent mal formulée. Les fameuses « écoles de vol » en moulinette n’apportent pas grand-chose si elles ne s’accompagnent pas d’un vrai travail de confiance et de désensibilisation progressive.

D’autres blocages sont tout aussi importants :

  • Le manque de confiance devant une voie ou une cotation.
  • Le regard des autres et la pression sociale dans une salle ou une compétition.
  • L’inconnu, surtout en falaise : ne pas savoir quelle va être la prochaine prise ou le prochain mouvement.
  • La concentration sur la durée, apprendre à se focaliser sur une prise après l’autre, plutôt que de penser à la fin de la voie.

Des outils concrets pour progresser

Toutes ces dimensions peuvent s’entraîner. Dans ma pratique, j’utilise plusieurs leviers :

  • L’imagerie mentale : apprendre à se projeter dans son enchaînement avant même de quitter le sol.
  • La respiration : développer un souffle adapté à l’effort, qui calme et donne du rythme.
  • Les routines mentales : poser un rituel de concentration avant chaque essai, comme un ancrage.
  • La désensibilisation hypnotique : travailler par l’hypnose et l’auto-hypnose pour se libérer de certains blocages.

Ce sont d’ailleurs ces recherches qui m’ont conduit à écrire deux livres sur l’auto-hypnose (parus aux éditions Amphora), et à participer à des ouvrages collectifs avec Kevin Arc sur l’entraînement.

Comment intégrer la préparation mentale dans son entraînement ?

Vous n’avez pas besoin d’être champion du monde pour entraîner votre mental. Tout commence par des gestes simples :

  1. Avant la séance
    Demandez-vous : quel genre de pensées ai-je sur moi-même ou sur ma séance ?
    Prenez deux minutes pour visualiser ce que vous contrôlez. Respirez comme vous aurez besoin de le faire dans l’effort.
  2. Pendant la séance
    Concentrez-vous sur un mouvement après l’autre.
    Si votre attention part ailleurs (regard des autres, performance, cotation), remarquez-le. C’est déjà une piste de progression.
  3. Après la séance
    Notez vos sensations dans un carnet mental. Pas seulement vos réussites ou échecs, mais vos ressentis, vos points de satisfaction. C’est ainsi que l’on construit une progression solide.

Une philosophie plus qu’un outil

Pour moi, l’escalade est bien plus qu’un sport. C’est une philosophie de vie. Chaque voie est un miroir : elle révèle nos peurs, nos forces, nos failles.

C’est aussi pour cela que nous avons créé le Refuge : un espace en ligne dédié aux grimpeurs, où chaque semaine, nous travaillons le mental ensemble. Des routines, des outils, mais aussi des interventions d’athlètes de haut niveau. Parce que l’entraînement mental, comme l’entraînement physique, doit être partagé et incarné.

Depuis mes premiers pas inspirés par Edlinger, jusqu’aux treize années passées aux côtés d’athlètes champions du monde, une certitude s’est imposée : en escalade, la tête est le premier muscle à entraîner.

La préparation mentale ne concerne pas seulement la peur de la chute. Elle touche la confiance, la concentration, la manière de se parler dans sa tête, et même la philosophie avec laquelle on aborde une voie ou une vie.

C’est cette vision que porte Mental Camp : transformer les plafonds de verre en planchers solides, pour les grimpeurs comme pour toutes celles et ceux qui affrontent leurs propres sommets.

👉 Si cet article vous parle, partagez-le, commentez-le, dites-moi ce que vous en pensez. C’est aussi en échangeant que l’on progresse.


📚 Bibliographie & ressources

  • Jonathan Bel Legroux, Auto-hypnose et performance sportive, éditions Amphora
  • Jonathan Bel Legroux, S’entraîner avec l’auto-hypnose, éditions Amphora
  • Kevin Arc (coll. Jonathan Bel Legroux), L’entraînement mental du sportif, éditions Amphora
  • Kevin Arc (coll. Jonathan Bel Legroux), Préparation et performance, éditions Amphora

Jonathan